Il n’est pas de jour, de semaine ou de mois sans qu’un article, sans qu’une étude, sans qu’une tribune ne se penchent doctement sur les moyens de faire rendre gorge aux retraités pour relancer notre économie, en amputant encore plus sévèrement qu’aujourd’hui leur pouvoir d’achat déjà fort entamé.
I- Haro sur les retraités
Certes la rumeur pourtant démentie d’une relance imminente de la réforme des retraites a déjà précipité vers le tocsin médiatique une bonne partie de notre intelligentsia qui dénonce une fois de plus le caractère insupportable de la ponction de 13 à 14% de notre PIB qu’opèrent nos retraites. Sans se demander d’ailleurs si l’importance de ce prélèvement ne correspond pas au choix d’une certaine forme de souveraineté nationale, où les Français préfèrent ménager la sérénité de leurs vieux jours, plutôt que de manger leur blé en herbe et de se trouver fort dépourvus une fois venu l’hiver de leurs âges. Quoi qu’il en soit, il n’est pas de jour, de semaine ou de mois sans qu’un article, sans qu’une étude, sans qu’une tribune ne se penchent doctement sur les moyens de faire rendre gorge aux retraités pour relancer notre économie, en amputant encore plus sévèrement qu’aujourd’hui leur pouvoir d’achat déjà fort entamé. Alignement de la CSG-retraite sur le taux de droit commun, remise en cause de l’abattement de 10% pour frais, relèvement des barèmes des donations, seconde journée de solidarité : l’imagination de nos politiques est sans borne…Certains de ces censeurs même n’hésitent pas à aller plus loin. Ils proposent ainsi d’instituer un nouvel impôt Covid sur les retraités, au prétexte que ceux, qui ont eu le front de survivre à la pandémie, doivent nécessairement contribuer un peu plus à la solidarité nationale, puisqu’à l’inverse de certaines catégories sociales durant la pandémie ils ont continué à percevoir l’intégralité de leurs pensions. Naturellement pour toutes ces élites, les prélèvements qu’on redouble ainsi sur les retraités n’auront absolument aucune incidence sur leur consommation, ni sur la “silver économie”, lesquelles, c’est bien connu, ne participent en rien à l’économie nationale.
II- Chat échaudé craint l’eau froide
Mais qu’importe ! Ces viles “contingences” n’entament pas les nouvelles exigences de ces économistes de haut vol (à tous les sens du terme) qui veulent que les vieux se dépouillent le plus vite possible et le plus généreusement possible de la plus grande partie de leur patrimoine en faveur de leurs descendants. Car il est naturellement entendu par principe et sans l’ombre d’une discrimination qu’un patrimoine de vieil épargnant est infiniment moins productif et moins utile qu’un patrimoine de jeune actif en quête d’investissement pour se loger ou s’établir. Même si on croit retrouver une forme de raisonnement chère aux écologistes dont les suggestions – on le sait – ne comportent jamais que des avantages, on ne peut être qu’atterré que les médias puissent colporter à longueur de colonnes, à longueurs d’interviews de tels propos, sans développer le moindre sens critique accessible pourtant à un gamin de 12 ans. En effet si l’on entreprend d’étrangler les retraités ou même seulement de les mettre durablement au pain sec, dès leurs premières années de retraite ils ne vont pas tarder à appréhender le caractère incertain des années suivantes de plus en plus difficiles pour l’équilibre de leurs finances. Il suffit d’envisager plusieurs années de séjour en EHPAD à une trentaine de milliers d’euros par an, au double pour un couple, voire d’autres situations de dépendance confirmée pour poser très clairement le problème. Proportionnellement très peu de patrimoines sont suffisants pour résister durablement à de telles ponctions sur de longues années et personne ne sait encore de quoi demain sera fait. Si bien qu’alerté par la dégringolade de son pouvoir d’achat et taraudée par l’incertitude du lendemain, avec une obligation alimentaire qu’elle répugne à réclamer à ses enfants, l’immense majorité du peuple des retraités va avoir naturellement le réflexe de conserver assez de ressources pour faire face aux dernières années de vie les plus coûteuses, plutôt que de se démunir imprudemment vis-à-vis d’une génération qui ne ménage pas ses anciens.
III- Une génération qui oublie ses origines
N’oublions pas en effet que, si l’ordre du jour est à l’amputation du pouvoir d’achat des retraités, c’est la génération aujourd’hui aux commandes qui le veut, c’est-à-dire précisément les actifs qui, pendant deux décennies et plus, ont été hier pour leur subsistance et leur éducation à la charge de leurs parents et grands-parents. Ceux-là même veulent tout de go mettre à la diète les retraités, en en faisant glisser beaucoup vers les seuils de pauvreté, ce qui mobilisera nécessairement une assistance dont personne ne veut mentionner le coût. Nul doute alors que le chacun pour soi va rapidement remplacer cette solidarité intergénérationnelle, dont on ne cesse de nous rebattre les oreilles, d’autant plus qu’on la voit peu à peu se noyer dans les égoïsmes collectifs des uns, les ingratitudes individuelles des autres et les inepties de nos élites. Bien sûr pour des esprits aussi éminents que ceux de Messieurs Attali, de Closets, El Karoui ou pour l’équipe de France-Stratégie, qui baignent dans la stratégie mondialiste, seul compte l’avenir, les “rentes” (sauf bien sûr celles dont ces ténors ou leurs pairs peuvent profiter) qui sont les ennemies jurées de l’économie et il faut châtier les retraités, ces nantis, ces égoïstes, ces fainéants, ces parasites enfin qui aspirent goulûment le sang des actifs et qui grippent comme autant de grains de sable la belle machine productiviste.
IV- La fin des retraites ou le retour du bon sens ?
Mais il n’est pas venu un seul instant à notre brillante intelligentsia l’idée qu’une telle politique mènera droit à une guerre des générations de la pire espèce et qu’on ne raye pas impunément d’un trait de plume l’avenir d’une population qui représente plus du quart de la population française et quelque 38% de son corps électoral. On est atterré que nos plus prestigieuses universités, que nos plus grandes écoles puissent régulièrement produire des cerveaux quasi-lobotomisés, car rigoureusement incapables d’imaginer et de percevoir les inconvénients des politiques qu’ils prônent. Enfin, il y a une notion qui a complètement échappé à la génération réformatrice, c’est que les chats ne font pas des chiens : elle risque fort d’ici deux ou trois décennies de voir fondre sur elle-même et de la part des générations futures de nouvelles avanies plus injustes, plus délétères encore que celles qu’elle aura sans scrupule déversées sur ses aînés. Et ce sera justice, donnant ainsi raison à tous les oiseaux de mauvais augure qui prédisent dès maintenant la fin des retraites. Mais peut-être est-il temps encore que les gens de bonne volonté se lèvent et s’unissent pour éviter ce qui serait socialement un véritable suicide collectif ?
Thierry BENNE
Publié le 14/09/2021 sur le site de l’IREF